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Marguerite Pilven 2025

De son passage dans le monde du théâtre et du cirque en qualité de costumière, Géraldine Guilbaud a renforcé son sens de la couleur, du mouvement et de l’équilibre. C’est au musée du Louvre, face aux statues funéraires d’Ain Ghazal, qu’elle prend conscience de la puissance d’un matériau avec lequel elle travaille exclusivement pendant dix années, le mortier de chaux.

Dans cette matière blanche qu’il est possible de teinter dans la masse, l’artiste a trouvé le moyen de lier la couleur et le volume en un même mouvement.
La forte présence qui émane de ses sculptures tient à leur aspect parfois illusionniste, quand ces dernières s’apparentent à une écorce, à un éclat de roche ou au fragment arraché d’un paysage. Dans leur élancement de matière, jaillissantes, déployées en rouleaux, s’étirant comme des pattes animales ou la traîne d’un vêtement, elles troublent les repères traditionnels de la représentation en produisant l’effet d’une effraction dans l’espace du regardeur. Géraldine Guilbaud s’adosse souvent aux caractéristiques architecturales des lieux où elle expose pour faire surgir ses sculptures de façon théâtrale, travaillant la façon dont elles se dresseront depuis le sol, se tiendront en appui le long d’un mur, se fixeront au plafond pour s’épancher en cascades colorées ou prendre leur essor.

En quoi tient la différence entre ce qui relève de l’informe et ce qui semble croître et se développer selon un principe interne d’élan vital ? C’est cette ligne de partage, cette animation intérieure de la forme par la matière qu’explore Géraldine Guilbaud, en une recherche qui ne cède rien de sa curiosité à la cosmétique de l’apparence. Il n’est à ce titre pas anodin que ses références soient picturales, tant les peintres qu’elle cite ont, eux aussi, interrogé sans relâche ce qui sous-tend la chair du monde : Gustave Courbet, Paul Cézanne, Eugène Leroy.

Depuis juillet 2024, Géraldine Guilbaud utilise la terre. Elle cherche à retrouver dans ces céramiques de plus petit format, et façonnées à l’échelle de la main, ce qu’un travail à grande échelle, effectué de tout son corps avec le mortier, lui a enseigné. La technique du grès émaillé rend plus décisive la mise en jeu des équilibres tenant la forme en croissance. « La dualité entre effondrement et maintien me permet d’atteindre la tension présente dans mes grandes sculptures en des formats plus petits », explique-t-elle, « de contenir un monde en poussant d’avantage la complexité de la forme ».

Géraldine Guilbaud prend pour substrat de son art l’observation régulière et attentive de phénomènes naturels qu’elle accompagne d’annotations picturales pour mieux les aiguiser, mais aussi s’en imprégner. Dans sa série intitulée « Sur la route », dessinée au pastel lors de ses déplacements, on identifie des formes naturelles ou architecturales dressant leur masse dans un contrejour, mais aussi les contreformes et trouées qu’elles définissent alentour. La frondaison des arbres, l’élancements de tiges ou le moutonnement de nuages sculptés par la lumière et balayés par le vent sont d’autres motifs décelables de ses observations graphiques. Ici, l’artiste semble vouloir saisir la sève du paysage dans ses ponctuations, ses respirations et ses volumes, ainsi que dans les dualités du ciel et de la terre, du plein et du vide, de l’ombre et de la lumière qui tiennent à la fois sa densité, sa profondeur et son espace.
Le geste d’annotation chromatique est dynamique dans sa façon de s’emparer de la surface vierge de la page, animé par le surgissement des choses vues et la ferveur d’y répondre avant que les sensations ne perdent leur précision et leur tranchant.
Une autre catégorie de dessins, très différente, est celle que l’artiste réalise à l’atelier.
Ils sont une autre façon de cultiver une proximité avec le réel pour donner plus de force à la matière sculptée, travailler une vraisemblance qui n’ait plus rien à voir avec la ressemblance et s’en libérer. Géraldine Guilbaud peut vouloir isoler par le dessin d’atelier une question, une intuition dont elle fera un point de repère pour le travail, plus long et par étapes, d’élaboration de ses sculptures. La spontanéité guide ainsi leur processus et laisse son empreinte dans la forme menée à maturation.
La poétique du fragment caractérise toute une organisation du regard et de la main.  S’appuyant sur des visions fugaces et des noyaux d’intensité, l’artiste s’autorise de brusques échappées et touche à un paradoxe poétique, fixer le vivace.

Marguerite Pilven, 27 février 2025