Sculpture des sens
La sculpture de Géraldine Guilbaud est une vue, dans son acceptation purement sensorielle, une information donnée en termes de couleur, de densité.
C’est la transmission de son propre regard en sensation brute, dépouillée de toute symbolique et de contextualisation signifiante.
Comme l’aspect narratif disparaît, la ligne n’a plus sens, la perspective s’efface, la forme n’est plus qu’une donnée générale.
Dégagées des aspects signifiants, les choses deviennent couleur, masses qui s’imbriquent, cohabitent à moins qu’elles ne fassent que se côtoyer dans le champ de vision.
Dès lors celles-ci restent l’unique matière de l’œuvre. Et l’unique matériau. Ce sont ces couleurs que Géraldine Guilbaud sculpte. Des mortiers colorés, denses, intensément tangibles, que l’artiste travaille en forces. La forme naît de leurs superpositions, leurs coulures, griffures…
Les objets et matériaux de récupérations perdent, dans l’œuvre, leur valeur figurative, au profit de leur couleur, de leur volume et des sensations qu’ils provoquent, des résonances affectives qu’ils suscitent. S’ils ont un rôle de structure, celle-ci sera simple, effacée, laissant à l’artiste toute latitude de développer le travail des matières colorées sur ces âmes.
La sculpture a ceci d’étonnant qu’elle est un paradoxe : l’œuvre est une et pourtant on ne peut l’apprécier immédiatement sous toutes ses faces. Tourner autour, ce n’est pas seulement changer d’angle de vue. Chaque pas, chaque regard dévoile, en réalité une autre sculpture.
Un paradoxe dont l’artiste joue. Par la savante dissymétrie de ses figures, un pas d’écart suffit pour que la forme discernée un instant nous échappe, se transforme. Tel volume que l’on trouvait organique devient soudain minéral. Tel autre un peu effrayant prend, avec un pas de plus, un aspect beaucoup plus humoristique.
De même la sculpture de Géraldine Guilbaud change selon la distance à laquelle on la perçoit. De loin, ce sera l’impression d’une légèreté, de nuages flottant, d’une onde passant autour d’une main… c’est intrigant, mais rassurant, car on se persuade d’en identifier l’image.
Mais plus on approche, plus les couleurs s’entremêlent, s’imbriquent et se fondent.
Alors que l’œuvre heurte l’œil qui cherche à signifier, par ses irrégularités, son absence de forme arrêtée, sa mollesse apparente, elle exhale une puissance, dans sa matérialité, dans la vivacité de sa couleur, qui frappe directement aux sens.
Texte d’Axelle Martignon, chargée de projets culturels et écrivaine, exposition Ciels, galerie du Haut- Pavé Paris, 2019